Lettre d'anoblissement

  Louis par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous présents et  à venir, Salut. Comme il n'y a pas de moyen plus assuré pour entretenir l'émulation dans le coeur des officiers qui sont employés à notre service, et pour les exciter à faire des actions éclatantes, que de récompenser ceux qui se sont signalés dans les commandements que nous leur avons confiés, et de les distinguer par des marques glorieuses qui puissent passer à leur postérité, nous avons par ces considérations puissantes, accordé des lettres de noblesse à ceux de nos officiers qui se sont rendu les plus recommandables; mais de tous les officiers qui ont mérité cet honneur, nous n'en trouvons pas qui se soit rendu plus digne que notre cher et bien aimé Jean BART, chevalier de notre ordre militaire de Saint-Louis, capitaine de marine, commandant actuellement une escadre de nos vaisseaux de guerre, tant par l'ancienneté de ses services que par la qualité de ses actions et de ses blessures, puisque :

- En 1675, ayant le commandement d'une galiote armée en course, et montée seulement de 2 pièces de canon et de 36 hommes d'équipage, il enleva à l'abordage dans le Texel, une frégate de 18 canons et de 65 hommes, venant d'Espagne.

- En 1676, ayant eu le commandement de la frégate "la Royale", armée en course et montée de 10 pièces de canon, il prit une frégate hollandaise nommée "l'Espérance", de 12 canons, qui servait de convoi de Hollande à Hambourg; ensuite de quoi, étant allé croiser, contre la pêche desdits hollandais, il en détruisit 670 après avoir battu 2 convois, dont il en enleva un monté de 18 pièces de canon, nommé "la Bergère".

- En 1677, commandant la frégate "la Palme", montée de 18 canons, il enleva après 3 heures de combat très opiniâtre, la frégate le "Swanensbourg" monté de 24 canons servant de convoi  de Hollande en Angleterre et prit 16 navires marchands, quoiqu'il eut plus de 100 hommes morts ou blessés.

- Au mois de septembre de la même année, commandant la dite frégate "la Palme", il prit à l'abordage un vaisseau hollandais nommé le "Neptune" de 36 canons, quoique beaucoup plus fort en artillerie que ladite frégate; en considération de quoi nous lui donnâmes une médaille et une chaîne d'or.

- Au mois de mars 1678, ayant eu le commandement de la frégate "le Dauphin" de 14 canons, ayant fait rencontre d'un vaisseau de guerre hollandais nommé le "Sehedair", monté de 32 canons, servant de garde-côte devant le Texel, ce vaisseau ayant voulu l'enlever, il combattit avec tant de valeur qu'il le prit à l'abordage et reçut plusieurs blessures en cette occasion. Il prit pendant le reste de l'année 3 corsaires d'Ostende, et depuis ladite année 1678 jusqu'à l'époque de la paix, il coula bas, fit échouer, brûla, rançonna et emmena au port de Dunkerque un grand nombre de navires ennemis, dont les registres de l'Amirauté de ladite ville sont chargés.

- La paix étant survenue, ses belles actions nous convièrent à le prendre à notre service, et lui ayant donné le commandement  de la frégate "la Vipère" de 14 canons, pour croiser contre les Saletins, il en prit une de 16 canons et de 130 hommes.

- La guerre étant déclarée contre l'Espagne, nous lui donnâmes le commandement de la frégate "la Serpente" avec laquelle  il prit un vaisseau où il y avait  350 soldats espagnols. Ensuite de quoi, ayant eu ordre de s'embarquer avec le sieur d'Amblimont, sur le vaisseau "le Modéré", pour la campagne de Cadix, il contribua à enlever 2 vaisseaux de guerre espagnols; dans laquelle occasion, il fut blessé à la cuisse d'un coup d'éclat.

- Enfin, la guerre qui est allumée aujourd'hui étant survenue, il eut le commandement de la frégate "la Railleuse"de 16 canons, avec laquelle il a fait beaucoup de prises considérables. Il fut blessé même très dangereusement, en escortant, par notre ordre, une flotte de navires marchands, du Havre à Brest.

- En 1690, commandant le vaisseau "l'Alcyon", de 36 canons, il détruisit la pêche et coula bas plusieurs pêcheurs hollandais; il prit, en venant à Dunkerque, 2 vaisseaux qui portaient en Angleterre 450 soldats danois; ensuite de quoi il fut à Brest et de là en Irlande sous les ordres de feu M. d'Amfreville, lors lieutenant général en nos armées navales; et ensuite servant dans la Manche, il eut ordre, après la défaite de l'armée anglaise et hollandaise, d'aller à l'Elbe chercher 2 navires que nous avions fait charger de cuivre, armes et autres munitions de guerre,et ayant eu avis d'Hambourg que les vaisseaux n'étaient pas prêts, il alla croiser pendant 15 jours. Il rançonna pour 43 000 écus de navires revenant de la pêche de la baleine, et ramena lesdites rançons à Dunkerque.

- En 1692, ayant eu le commandement de 7 frégates et d'un brûlot, 32 vaisseaux de guerre anglais et hollandais bloquèrent le port et la ville de Dunkerque, mais il trouva le moyen de passer et le lendemain, il enleva 4 vaisseaux anglais richement chargés qui allaient en Moscovie. Ensuite, il alla brûler 86 bâtiments, tant navires qu'autres vaisseaux marchands; et ayant fait une descente vers Newcastle, il brûla environ 200 maisons et emmena à Dunkerque 500 000 écus de prises.

- Sur la fin de ladite année 1692, ayant été croiser au Nord avec 3 vaisseaux, il fit rencontre d'une flotte hollandaise venant de la mer Baltique, chargée de blé, escortée par 3 navires de guerre, il attaqua ces convois, il en prit un après avoir mis les 2 autres en fuite. Il prit 16 vaisseaux de ladite flotte, chargés de blé, seigle, orge, goudron et autres marchandises qu'il emmena à Dunkerque.

- En 1693, ayant eu le commandement du vaisseau "le Glorieux" de 62 canons par l'amiral Tourville qui surprit la flotte de Smyrne, et s'étant  trouvé séparé de ladite flotte, et ayant rencontré près de Faro, 6 navires hollandais, savoir , un de 50 et les autres de 42, 36, un de 26 et 24 canons, tous richement chargés, il les fit échouer et brûler ensuite, après quoi, ayant désarmé à Toulon, il se rendit à Dunkerque. Suivant nos ordres, il partit pour Vleker, où il eut le commandement de 6 de nos vaisseaux, pour emmener en France une flotte chargée de blé, qu'il conduisit heureusement à Dunkerque, quoique les Anglais et les Hollandais eussent de grosses escadres à la mer pour l'en empêcher.

- Enfin, étant parti le 28 juin de la présente année avec les mêmes 6 vaisseaux de guerre pour aller chercher une flotte de blé à Vleker, cette flotte qui était partie dudit lieu au nombre de 100 et quelques voiles sous l'escorte de 3 vaisseaux danois et suédois, fut rencontrée entre le Texel et le Flix par  le contre-amiral de Frise, le sieur Hides, qui commandait une escadre de 8 vaisseaux de guerre, et s'était déjà emparé de ladite flotte; mais le lendemain, le sieur BART le rencontra à la hauteur du Texel, et comme il s'agissait de faire une action aussi éclatante qu'utile pour le bien de notre service et le soulagement de nos sujets, il prit la résolution de le combattre quoiqu'inférieur en nombre et en artillerie et, ayant abordé le contre-amiral, il l'enleva aussi bien que les autres qui furent enlevés par les autres de l'escadre dont nous lui avions confié le commandement; et ainsi il se rendit maître des bâtiments dont il s'était emparé et il conduisit à Dunkerque les vaisseaux chargés de blé qui étaient destinés pour ladite ville avec les 3 vaisseaux de guerre hollandais qui ont été pris en cette occasion, montés l'un de 58 pièces de canon, l'autre de 52 et le troisième de 34.

Une action aussi distinguée, jointe à plusieurs autres qui l'ont signalé par tant de fameux exploits nous convient à lui donner des marques de l'estime que nous faisons de sa parole, et de la satisfaction que nous avons de ses services en l'honorant  du titre de noblesse, afin d'augmenter, s'il est possible, l'ardeur qu'il a de se signaler et de donner en même temps de l'émulation à nos autres officiers de marine et l'envie de l'imiter dans l'espérance de s'acquérir et à leur famille, un semblable honneur.

A ces causes, voulant reconnaître les services importants dudit sieur BART par des marques de distinction qui fassent connaître à la postérité la considération particulière que nous avons pour sa valeur, qu'il a toujours conduite avec tant d'avantage pour le succès des entreprises qu'il a faites pour notre service, de notre grâce spéciale, pleine puissance et autorité royale, nous avons anobli et anoblissons par ces présentes, signées de notre main, ledit sieur Jean BART, ensemble ses enfants, postérité et lignée, tant mâles qui femelles nés et à naître en légitime mariage, que nous avons décoré et décorons du titre et qualité de gentilhomme. Voulons et nous plaît qu'ils soient dorénavant tenus, comptés et représentés pour nobles et gentilshommes, en tout actes et endroits, tant en jugements que dehors et qu'ils puissent dire et qualifier écuyers, et puissent parvenir à tous degrés de chevalerie, titres, qualités et autres dignités de notre royaume; acquérir, tenir et posséder tous fiefs, terres nobles et seigneuries, de tel nom, titre, qualité et nature qu'ils puissent être, jouir de tous les honneurs, prérogatives, privilèges, franchises, libertés, exemptions et immunités dont jouissent les autres gentilshommes de notre royaume, comme s'ils étaient d'ancienne et noble race, tant qu'ils vivront noblement et ne feront acte dérogeant. Permettons audit sieur BART et à sa postérité de porter les écussons et armoiries timbrées, telles qu'elles sont ci empreintes, avec faculté de charger l'écusson de ses armes d'une fleur de lys à fonds d'azur que nous lui avons concédé et concédons par ces présentes, en mémoire et considération de ses signalés services; et icelles faire peindre et graver en ses maisons, terres et seigneuries à lui appartenantes, ainsi que bon lui semblera. Sans que pour ce, il soit tenu de nous payer et à nos successeurs aucune finance ou indemnité dont nous l'avons déchargé et déchargeons, et en tant que besoin serait, nous lui avons fait et faisons don et remise par ces dites présentes.

Si donnons et mandons à nos aimés et féaux, les gens tenant nos cours de parlement, chambre des comptes et cour des aides à Paris, et à tous nos officiers et justiciés qu'il appartiendra, que ces présentes ils aient à enregistrer, et de tout leur contenu faire jouir et user ledit sieur BART et ses enfants, postérité et lignée, tant mâles que femelles, nés et à naître en légitime mariage, pleinement, paisiblement, cessant et faisant cesser tous troubles et empêchements, nonobstant tous édits, déclarations,arrêtés, ordonnances, règlements et lettres à ce contraires, auxquels nous avons dérogé et dérogeons par ces présentes.

Car tel est notre bon plaisir; et afin que ce soit chose ferme et stable, et à toujours, nous avons fait mettre notre scel à ces présentes.

Donné à Versailles, au mois d'août (le 4), l'an de grâce 1694, et de notre règne le cinquante-deuxième.

                                                                                                                                        Louis.
                                                                                                                         Par le roi, Phélipeaux